Ernst Jünger. Un autre destin européen

15 août 2009 | Livre, NRH

Ernst Jünger. Un autre destin européen

La remarquable étude que publie Dominique Venner n’est pas une biographie de plus consacrée à Jünger, qui redoublerait celles dues, en français, à Alain de Benoist, Banine, Towarnicki, Palmier ou Hervier. L’empathie, présente chez tous les biographes, est ici enrichie d’une circonspection interrogative qui manque souvent aux lecteurs de Jünger. Venner suit la chronologie des faits et gestes de son modèle, mais en s’efforçant de déchiffrer les mobiles d’événements ou de textes qui étonnent chez l’écrivain allemand : l’éloge du non-agir, par exemple, à l’œuvre dans Sur les falaises de marbre, ou les songeries utopiques du manifeste La Paix, de 1943. Tout ce qui ne semble pas aussi clair et droit que l’étaient le personnage et ses engagements, notamment dans la Grande Guerre, est ici immanquablement soumis à discussion, voire à controverse, de manière construite et instruite, non polémique.

Cette liberté de ton et d’observation va de pair, chez Venner, avec une autre originalité de son approche : il considère au fil des pages la vie et l’oeuvre de Jünger comme autant de clefs de lecture de son époque, de ses espérances, de ses énigmes, de ses embarras, de ses succès ou de ses échecs. Cette méthode, qui à chaque pas réintègre Jünger dans l’histoire de son siècle, sans jamais en faire un pur réactif aux événements, plutôt un spectateur engagé, et privilégié par son talent plus que par les circonstances, n’est applicable qu’à ceux que l’on se reconnaît comme maîtres : ils ne pensent pas à votre place ; c’est la pente de leurs actions et de leurs réflexions qui incline à méditer et à agir par soi-même. Jünger est ainsi abordé comme un éducateur de la liberté de son lecteur, ce qui est d’un enrichissement constant, comme serait un palimpseste qui, loin de cacher le document qu’il recouvre, permet au contraire de mieux le lire, et d’en tirer les plus riches leçons.

Venner insiste par ailleurs sur la capacité exemplaire de Jünger à éclairer les temps qui viennent. L’Histoire n’a certes pas de causalité mécanique, elle n’est jamais écrite par avance, mais l’essayiste-écrivain en discerne les soubassements, il trace, écrit Venner, « les perspectives d’un autre destin européen ». Au terme d’un commentaire serré du Nœud Gordien, paru en 1953, Venner livre ce qui lui paraît la quintessence de l’œuvre jüngérienne. Poète et guerrier, comme le fut l’initiateur du théâtre tragique grec, Eschyle, général à Marathon et amiral à Salamine, Jünger a uni ses deux orientations, ses deux types d’engagements, en une seule et même manière d’exister : une « éthique de la tenue », dit Venner, laquelle est la source et le sens même de la liberté propre aux Européens face à leurs destinées. « Viser plus haut que le but, écrit Venner reprenant son modèle, ce pourrait être une des maximes s’appliquant à l’existence du soldat et de l’écrivain hors normes que fut Jünger. »

Jean-François Gautier

Ernst Jünger. Un autre destin européen, par Dominique Venner, Le Rocher, 256 p., 18 €