Pour respirer en politique et ailleurs

5 juin 2012 | Réflexions

Pour respirer en politique et ailleurs

Oui, nous éprouvons souvent le besoin d’aller respirer ailleurs quand l’air ambiant est saturé de médiocrité. C’est à quoi je songeais en lisant l’intelligent petit livre que Francis Bergeron vient de consacrer à Maurice Bardèche, un nom à retenir et à retrouver, associé à une vie exemplaire. L’itinéraire de Maurice Bardèche (1907-1998) fut celui d’un intellectuel de haut niveau que son amitié pour son beau-frère, Robert Brasillach, projeta dans un engagement de fidélité absolue après l’exécution de ce frère, le 6 février 1945. Maurice Bardèche est emblématique de ce qu’en politique, j’appelle le « corps mystique » des hommes de foi, par opposition aux hommes de pouvoir. Bardèche n’a jamais fui les conséquences de ses engagements. Il poussa même la fidélité jusqu’à la provocation, se prétendant par exemple « fasciste » après 1945, alors que cela n’avait plus de signification, sinon rétrospective. Curieux fasciste en vérité, que cet esprit fin, érudit, amoureux des lettres, empreint de gentillesse, qui ne se s’engagea sous le fantôme des faisceaux qu’après leur défaite.

Né le 1er octobre 1907 dans le Berri, à Dun-sur-Auron (anciennement Dun-le-Roi), Maurice Bardèche était un pur produit de l’ancien élitisme républicain, qui permettait à un petit paysan pauvre mais doué, d’aller au bout des études supérieures. Admis en hypokhâgne à Louis-le-Grand, il y côtoya Thierry Maulnier, Roger Vaillant et surtout Robert Brasillach. Ce dernier, jeune Catalan de Paris, brillantissime et rieur, l’initia au monde enchanté des livres, du cinéma et du théâtre. Commença une amitié idéale, que vint renforcer le mariage de Maurice Bardèche avec Suzanne, la sœur de Brasillach. En collaboration avec ce dernier, il publia en 1935 une Histoire du Cinéma qui fait toujours autorité. En ce temps-là, il n’était pas encore question d’idéologie, c’est-à-dire d’un système d’idées cohérent.

Reçu à l’Ecole normale supérieure en 1928, Maurice Bardèche décrocha l’agrégation le lettres en 1932. Son destin semblait tracé, celui d’un grand universitaire, spécialiste reconnu de Balzac, titulaire d’une chaire à la Sorbonne dès 1940.

Et la politique dans tout cela? Elle restait lointaine, malgré les orages sur l’Europe. La guerre et l’Occupation, Bardèche les regardait « du bord de la route ». Tout bascula en 1944. Bien qu’il se fût abstenu de toute activité publique, il fut arrêté à la Libération et emprisonné pendant six mois à Drancy et à Fresnes. La vindicte qui frappait Robert Brasillach s’étendait à ses proches. Chassé de l’Université pour trois critiques littéraires données à Je Suis partout, Bardèche dut trimer dans l’enseignement libre et dans l’édition afin de nourrir ses cinq jeunes enfants.

L’exécution de Robert Brasillach, le 6 février 1945, avait fait de lui un autre homme : « Un régime qui pouvait mettre à mort un être aussi généreux, aussi pur, qui le tuait pour des mots, pour une opinion, avait en lui un principe de mal. J’étais le témoin de Robert Brasillach. Sur lui, je ne pouvais pas me tromper. (2) » Désormais, il se voua à son beau-frère mort, à la défense de son œuvre et de son engagement. Dans cette tâche, il révéla une violence de plume et une témérité qui attirèrent sur lui quelques ferventes sympathies et beaucoup de haine. En 1948, il fondait sa propre maison d’édition, Les Sept Couleurs, titre d’un roman de Robert Brasillach. Il y publia aussitôt Nuremberg ou la terre promise, pamphlet qui anticipât avec une incroyable lucidité sur ce que serait le « nouvel ordre mondial » imposé plus tard par l’hyperpuissance américaine. Le livre fut saisi et son auteur condamné. Avant tout le monde, Bardèche avait perçu les implications de la nouvelle justice sans frontières qui allait s’étendre sur le monde. Dans la prétention d’ériger un tribunal international en juge des nations, sous prétexte de crimes contre l’humanité, Bardèche identifia un principe nouveau de la vie politique : « La souveraineté nationale, désormais, n’existait plus… La nation n’était plus qu’une parcelle géographique d’un tout appelé  humanité… Désormais nous n’aurions plus aucun droit d’être ce que nous sommes, de défendre ce qui nous appartient, d’être chez nous sur une certaine partie de la terre. Nous n’étions plus que des fourmis qui se trouvaient par hasard sur un certain tas de sable appartenant à tous les hommes et sur lequel tous les hommes pouvaient s’installer… (2) » Il faut retenir et méditer cette intuition précoce.

En décembre 1952, Maurice Bardèche lança une revue de combat, Défense de l’Occident, qui, jusqu’à son 194ème et dernier numéro, en novembre 1982, fut un rendez-vous intellectuel de la droite radicale. Parallèlement, il poursuivait une œuvre littéraire importante, ponctuée par une succession d’ouvrages sur Stendhal (1947), Marcel Proust (1971), Balzac (1980), Flaubert (1988), Céline (1986), Léon Bloy (1989). Il a également publié plusieurs essais politiques, notamment Sparte et les Sudistes, (1969) dans lequel il reprochait aux nationalistes français d’avant 1940  leur confondante myopie. Ils ont pris, dit-il, la défaite de 1870 pour l’évènement capital de l’histoire, alors que le destin du monde s’était joué sept ans plus tôt dans la vallée de Gettysburg sans qu’ils l’aient vu. « La défaite du général Lee était infiniment plus grave pour notre avenir que la perte de deux de nos provinces. C’est un nombrilisme pire encore qui avait concentré toute l’attention des Français sur l’affaire Dreyfus, cultivé un militarisme puéril, nourri (l’) esprit de revanche, alors que tant de nouvelles menaces étaient présentes dans le monde. »

La vie et les écrits de Maurice Bardèche offrent un rare exemple de détermination ferme et de courage, comme le soir où, en dépit de son âge, il affronta BHL et sa cour sans faiblir sur le plateau de Bernard Pivot qui avait misé sur un sanglant hallali. Il en fut pour son argent. C’est un souvenir que je n’ai pas oublié.

 

Dominique Venner

 Notes

  1. Francis Bergeron, Bardèche, Editions Pardès/Qui Suis-je ?, 126 p., 12 €.
  2. Sauf indications contraires, les citations sont extraites des Souvenirs de Maurice Bardèche (Buchet-Chastel, 1993).
  3. Illustration : Maurice Bardèche (1907-1998), ancien normalien, beau-frère de Robert Brasillach